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shinya tsukamoto parle de son cinema

Discussion dans 'Discussion générale' créé par tetsuo, 9 Juin 2009.

  1. tetsuo

    tetsuo Membre actif


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    2 Août 2008
    Shinya Tsukamoto (c) D.R. SHINYA TSUKAMOTO
    Réalisateur
    Entretien réalisé
    à Tokyo, en décembre 2002
    Par Stephen SARRAZIN

    Traduction de Sakurako UOZUMI
    Merci à Kiyo JOO


    BAISING IN THE RAIN

    C'est devenu une habitude, depuis bientôt dix ans, je rencontre Shinya Tsukamoto pour un entretien. Un personnage qui a assez peu changé au cours de ces années, très doux, drôle, le contraire de la violence qu'on associe à son cinéma. Tsukamoto fut l'un des premiers cinéastes Japonais de cette relève apparue en 1989 à trouver un soutien critique en Europe et en Amérique. Treize ans après Tetsuo, son dernier film A Snake of June remportait le prix de la critique à Venise. Hollywood s'est intéressé à lui, Hong Kong et Tsui Hark se sont intéressés à lui, et pourtant son mode de production, ses budgets ont très peu évolué. Plus de liberté, mais des soucis sur l'avenir de la distribution du cinéma Japonais à l'étranger...


    Objectif Cinéma : Snake of June vient après Soseiji (Gemini), que vous aviez réalisé pour Toho. Aviez-vous envie de revenir au cinéma indépendant ? Est-ce que le succès de Soseiji vous a permis d'enfin réaliser Snake of June ?

    Shinya Tsukamoto : Oui, j'avais envie cette fois de faire complètement ce qui me plaisait. Ceci dit, on me propose à l'occasion des commandes, comme le fut Soseiji, que j'ai accepté, et d'autres que je refuse. Snake of June est un projet qui me tenait à cœur depuis des années. Soseiji a connu un succès raisonnable au box-office, rien d'énorme, mais Toho était satisfait. Je pouvais passer à Snake of June l'esprit calme.


    Objectif Cinéma : Vous a-t-on proposé d'autres films à plus gros budget, après Soseiji ? J'avais trouvé très intéressant que Sogo Ishii réalise Electric Dragon, un film quasi expérimental avec Tadanobu Asano et Masatoshi Nagase (inédit en France) après avoir fait Gojoe (présenté à Gérarmer). Est-il toujours un réalisateur qui vous intéresse ?

    Shinya Tsukamoto : D'autres propositions me sont en effet parvenues, mais elles ne me convenaient pas. Entre les films, j'aime cependant travailler avec d'autres réalisateurs, en tant qu'acteur. Je ne l'ai jamais fait pour Sogo Ishii, mais c'est quelqu'un que j'admire. Pour les réalisateurs de ma génération, pour les indépendants, il est le modèle, une référence. Il commença à tourner des films dès le lycée. Je vois assez peu de films, vous savez, mais je m'intéresse toujours à son cinéma.



    Objectif Cinéma : Tetsuo / Bullet Ballet / Snake of June forment-ils une trilogie du noir & blanc & de l'érotisme ? Et qu'est qui vous attire dans la saison des pluies (le mois de juin) ?

    Shinya Tsukamoto : Je n'avais pas imaginé ces films en tant que trilogie, mais je comprends très bien ce que vous dites. Je pense du coup que nous pourrions aussi en déceler une autre, thématique, qui regrouperait Tetsuo II / Tokyo Fist / Bullet Ballet, sur les personnages de maris, les histoires de couples. Cette fois, mon film se passe sous la pluie, une nouvelle texture pour moi. Mais c'est lié davantage a un souvenir d'enfance que j'ai cité comme germe du scénario : lorsque j'étais à l'école primaire, j'ai fait un dessin d'un escargot sur la feuille d'un arbre, sous la pluie. Ce dessin remporta un prix, on parla de moi dans le journal. Ma première heure de gloire ! C'est cette image de l'escargot sur la feuille qui ouvre le film.

    Objectif Cinéma : Vous parliez d'une nouvelle texture. La pluie a-t-elle les corps de vos acteurs, et surtout de votre actrice, plus séduisants? Vous représentez Tokyo de manière urbaine / moderne / froide (votre noir & blanc dans l'image met une distance entre le film et le spectateur). Voyez-vous toujours Tokyo de cette façon ? Snake of June a-t-il changé cela ?

    Shinya Tsukamoto : Je n'y avais pas pensé, merci ! Vous avez raison, la pluie affecte les corps, mais aussi la ville telle que je la filmais, c'est vrai. Enfin, la pluie rend tout ca plus chaud. On dit souvent que Tokyo est une ville froide, avec des immeubles partout, les trains, l'industrie… Mais lorsque tombe cette pluie, Tokyo devient sur un mois une ville presque tropicale, on voit la vapeur qui monte, qui s'élève. La pluie donne à la ville une autre matière, moins urbaine. Cette vapeur serait un peu ma fuite du cinéma du genre ? (rires)


    Objectif Cinéma : Dans Tokyo Fist / Bullet Ballet / Snake of June, vos actrices, les personnages féminins, semblent avoir de nombreux points communs. On dit souvent que vos films touchent surtout un public masculin, et pourtant les femmes sont très fortes dans vos films; qu'en pensez-vous ? Fuir le cinéma de genre pour vous, est-ce aller à la rencontre du public féminin du Japon ?

    Shinya Tsukamoto : (rires)... Je crois qu'il faut des femmes fortes, et en général plus fortes que les personnages masculins de mes films, pour affronter ce qui se joue dans le récit, dans le scénario. Hélas je doute que mes héroïnes correspondent aux attentes du public féminin, du moins à Tokyo. Cependant, il serait faux de dire qu'elles boudent mes films, et je ne compte pas adapter mes projets de cinéma pour en attirer davantage. Mais vous savez, il y a pire, aucune femme au Japon ne regarde ni s'intéresse aux films de Takashi Miike !


    Objectif Cinéma : Et croyez-vous que votre univers, les thèmes de vos films, touchent les jeunes Japonais dans la vingtaine ?

    Shinya Tsukamoto : Je le crois, du moins j'ai l'impression en jetant un coup d’œil dans les salles. En fait, je ne sais pas si c'est pour mes films, leur style, ou si ce sont les histoires. Au début, mon public était attiré par les deux aspects de mes films, forme et récit, aujourd'hui...


    Objectif Cinéma : Vous intéressez-vous à la génération de réalisateurs Japonais qui ont dans la trentaine ? On vous regroupe avec d'autres comme Kurosawa, Miike, ceux qui ont un public à l'étranger. Mais que pensez-vous des réalisateurs de ces dernières années ?

    Shinya Tsukamoto : Vous avez vu cette nouvelle revue ici à Tokyo, Invitation ? Sur la couverture, on trouve une foule de gens qui représentent, selon la revue, le cinéma japonais aujourd'hui : des réalisateurs, des acteurs, et beaucoup d'idoles ! La couverture se déplie, et vous trouvez complètement à gauche, pas sur le dessus, Takashi Miike, et moi. Nous sommes la marge ! Par contre, on ne voit pas Takeshi Kitano, peut-être était-il occupé ce jour-là... Mais j'aime Kitano, bien qu'il ne soit pas de la même génération que moi. Nous avons fait nos premiers films la même année, en 1989. J'aime bien Cure de Kurosawa, les autres un peu moins, certains passages de Miike...


    Objectif Cinéma : Entendu, mais sur cette couverture, tous les réalisateurs sont apparus dans les années 80, ou à la fin de cette décennie. Il y a une autre génération derrière la vôtre : Shunji Iwai, Katsuhito Ishii, Isao Yukisada, Toshiaki Toyoda, etc.

    Shinya Tsukamoto : J'aime bien Yukisada, avec qui j'ai travaillé, et qui avait travaillé avec moi comme 2ème assistant réalisateur sur une série télé que j'ai réalisée il y a quelques années.


    Objectif Cinéma : Il a obtenu le premier prix au festival de Marrakech, pour Go. Jeanne Moreau, sur le jury de ce festival, était à Tokyo pour le festival international de cinéma. Elle a profité du voyage pour lui remettre le prix. Dans Tokyo Fist & Bullet Ballet, le Salary Man, le mari, c’était vous. Vous vieillissez, votre cinéma devient-il plus mûr ? Pourquoi avez-vous donné le rôle du mari salaryman à un autre acteur ?

    Shinya Tsukamoto : (rires) Oui, d'une part, je vieillis, c'est vrai ! Mais j'ai aussi de plus en plus de plaisir à jouer, et le rôle du photographe me semblait bien plus intéressant. J'avais envie de ce rôle de méchant


    Objectif Cinéma : En prenant le rôle du photographe / stalker, vous êtes celui qui dirige la vie des personnages dans le film. Vous êtes aussi le réalisateur du film. Pouvez-vous parler du lien entre votre personnage et votre travail de réalisateur ?

    Shinya Tsukamoto : En effet, vous avez raison. Je ne pouvais pas être dans cette position en tenant le rôle du mari. Dans celui du photographe, je dirigeais le récit d'une part, puisque je disais quoi faire au mari et à la femme, mais je voyais aussi mes acteurs et mon équipe à l’œuvre. C'était une position idéale !


    Objectif Cinéma : Votre personnage est aussi comme un " ange ", il libère ce couple de ses frustrations : la femme qui n'est pas satisfaite sexuellement et le mari qui a peur de la saleté, des choses du corps. Est-ce aussi une manière pour vous de vous éloigner de ces thèmes que nous avons vu dans vos films ?

    Shinya Tsukamoto : Mon personnage est entre l'ange et le démon, mais au début du film, il est près de la mort. Il " ressuscite " grâce à la voix de cette femme qui travaille pour les services " s.o.s. suicide ". Alors qu'il est rongé par le cancer, mon personnage renaît, et du coup, en vient presque à se prendre pour un dieu. De toute évidence, il devient omniprésent dans la vie de cette femme. Cependant, je crois que cette liberté dont vous parlez était déjà là dans Tetsuo, ou nous voyons un autre personnage de salaryman qui s'affranchit, lui aussi physiquement. Disons que c'est plus douloureux dans Tetsuo. Mais on voit néanmoins dans ces deux films, Tetsuo & Snake of June, les corps pénétrés par des objets.


    Objectif Cinéma : Cette liberté du couple doit passer une fois de plus, comme dans vos autres films, par la violence, la tension. En voyant votre personnage humilier et frapper le mari dans cette ruelle, je pensais a la scène du viol de Monica Bellucci dans Irréversible, le film de Gaspar Noé. Votre personnage a tout de même quelque chose de cruel, sadique. Est-ce le prix que doit payer ces couples bourgeois à Tokyo pour retrouver une connection entre eux ? J'ai trouvé que la scène finale, entre ce couple un peu banal, était tout de même amusante, accompagnée de cette musique qui les enveloppe pendant qu'ils font enfin l'amour.

    Shinya Tsukamoto : (rires) Je crois, comme vous le suggérez, qu'il y a un prix à payer pour retrouver cette passion, et que cela touche à l'épiderme. Une ville comme Tokyo peut vous faire oublier cela, le contact, la peau, toucher. Nous parlions plus tôt de son image de ville froide. Je pense donc que revenir à la peau, au contact physique troublant, choquant, devient quasi-nécessaire pour que la relation puisse avoir une chance de redémarrer. Je n'ai pas encore vu Irréversible, mais vous savez sûrement que j'aime beaucoup Gaspar Noé. Vous avez apprécié ce film ?


    Objectif Cinéma : Oui, beaucoup.

    Shinya Tsukamoto : Ca fait peur ? J'ai trouvé que Carne et Seul contre tous étaient des films forts, presque choquants. Irréversible vous a choqué ?


    Objectif Cinéma : Il y a une grande douceur dans ce film, mais la presse a focalisé sur deux séquences qui contiennent des passages difficiles. L'une autour du viol de Monica Bellucci, et celle de la vengeance de Vincent Cassel.

    Shinya Tsukamoto : (rires)... Oui, continuez ! Non ! non, arrêtez, je veux découvrir le film sans savoir trop de choses.


    Objectif Cinéma : Dans vos films, on retrouve souvent un lien entre deux personnages masculins, des frères ennemis, des adversaires, etc. Quel est le lien entre vous et le mari ?

    Shinya Tsukamoto : Toujours un peu cette relation de grand frère, celui qui tente d'enseigner, de transmettre quelque chose à l'autre. Ici, mon personnage de photographe tente d'enseigner au mari comment retrouver le goût de la vie, et la vie, on le sait, c'est cette femme qui se trouve entre eux


    Objectif Cinéma : J'avais beaucoup aimé comment vous aviez dirigé Ryo dans Soseiji. Quel est le parcours d'Asuka Kurosawa, qui est excellente dans le film.

    Shinya Tsukamoto : C'est une jeune comédienne tres intéressante, qui a un parcours divers, qui a fait surtout de la télé, un peu de théâtre. Elle me semblait correspondre à la force qui sommeille dans son personnage. Je lui ai envoyé le scénario, qu'elle a adoré. Elle a tout de suite accepté, et ce fut une collaboration fructueuse, elle a immédiatement saisi son personnage, c'etait plus simple pour la diriger. Elle se reconnaissait également dans la dimension érotique du rôle. Il ne s'agissait pas d'un rôle de sexe comme on en voit dans les productions V-Cinema, dans lesquelles les femmes qui acceptent de tourner se voient hélas souvent offrir le même genre de rôle... Au demeurant ce sont parfois des films sympathiques, mais qui donnent peu d'occasions d'étendre leur registre.


    Objectif Cinéma : Il y a tout de même eu Aikawa Sho... La presse française est a nouveau partagée entre ceux qui aiment et ceux qui détestent votre film. Mais vous avez un public tout de même fidèle. Croyez-vous que le prix spécial du Jury vous amènera un public plus nombreux à l'étranger ?

    Shinya Tsukamoto : Bien sûr, j'espère avec chaque film que mon public s'élargira. Mais les lois de la distribution sont de plus en plus dures. Je ne sais pas encore ce que les distributeurs pensent vraiment du film. Dans le cas de la France, nous parlions avant l'entretien, de la baisse du boom japonais dans le circuit parisien. Ces dernières années, Canal +, ou notre ami Jean-Pierre Dionnet, ont soutenu mes films. Mais Canal ne s'engagera pas sur ce film, je ne crois pas..


    Objectif Cinéma : Votre prochain film poursuivra-t-il le chemin de cette nouvelle maturité présente dans Snake of June ?

    Shinya Tsukamoto : Décidément, je mûris !! Je crois que oui. Je travaille sur un scénario original, l'histoire d'un étudiant de médecine en 2ème année, qui prépare chirurgie. Le moment est venu d'aller à l'intérieur du corps, de couper, d'entrer. Si j'avais été plus jeune, j'y aurais été sûrement a fond, plus gore, etc. Mais là, je veux davantage me concentrer sur l'état d'esprit de ce personnage, la nature des liens entretenus avec ces corps qu'on ouvre. Ce que j'espère également pour ce film, c'est d'arriver à une nouvelle façon de filmer.


    Objectif Cinéma : À propos de manière de filmer, quel est le dernier film qui vous ai fait grande impression de ce point de vue ?

    Shinya Tsukamoto : Je vois peu de films... mais j'ai vu le remake américain de Ring, qui m'a plutôt plu, bien que la version originale m'ait fait plus peur.


    Objectif Cinéma : Moi aussi. Samara, ce n'est pas Satoko.
     
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