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RIP "Monsieur B"

Discussion dans 'Forum Quebec Underground' créé par QuebecUnderground, 14 Mars 2013.

  1. QuebecUnderground

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    4 Avril 2008
    Un modérateur de ce forum est décédé...

    http://lechantdurampant.blogspot.ca/2013/03/docteur-b.html


    " -Mardi 12 mars-9h00.

    Manif de soir contre la hausse. Il pleut. Il fait sombre, mais je suis content. c'est ma première sortie officielle en couple. Je tiens la main de mon amoureuse en souriant un peu stupidement, mais je m'en fous. Nous ne sommes qu'une centaine, mais tant pis. Nous luttons quand même. Au détour d'une rue j'entends une voix familière: "Bonjour jeune homme!" Je me retourne, sachant déjà devant quelle bouille gouailleuse je vais me retrouver, vu qu'une seule personne au monde m'appelle jeune homme, pour effectivement dévisager le fameux docteur B, ses piercings, son necktatoo et son sourire sarcastique. Nous tombons dans les bras l'un de l'autre, nous ne nous sommes pas vus depuis trop longtemps, les aléas de la vie, ma dépression, ce monde qui va trop vite, etc. Je lui présente fièrement ma petite souris. Content, nous marchons quelques rues ensemble, se rappelant quelques mauvais coups à Montréal-nord pour situer notre amitié à mon amoureuse, pour la faire rire. Je lui demande des nouvelles de son doctorat, il m'invite à sa prochaine conférence. Et puis, un autre coin de rue, nous ne ferons pas la révolution ce soir alors mon amoureuse et moi on s'est dit qu'on ferait plutôt l'amour. Je le salue, finalement je le prends même dans mes bras, je lui dis je t'aime, à bientôt pour une bière, oui sans faute et je file vers un lit prometteur, collé à l'amour comme deux ados découvrant le corps de l'autre.

    Toi tu as filé vers un placard pour mettre une dernière cravate bien plus moche que celles que tu appréciais d'habitude.
    Et puis c'était fini.
    Pendant que nous faisions l'amour pour la 4ième fois peut-être. Pendant que nous somnolions ivre de sexe. Ou peut-être pendant cette crise d'angoisse que j'ai eu en arrivant dans notre nid, ne sachant trop pourquoi.
    Je préférerais, si cela ne t'ennuie pas, Docteur B.
    La pensée que tu râlais pendant que je jouissais m'est trop insupportable.

    On s'était rencontré quelques années auparavant à Montréal-nord, deux petits blanc-becs perdus chez les rappeurs, deux petits blancs perdus chez les délinquants. On saluait nos jeunes d'un "salut les toxicos" Ça ne faisait rire que nous, mais qu'est-ce que ça nous faisait rire!!! On insultait nos mères pour faire rire les jeunes. On leur parlait religion, politique, littérature. On foutait le bordel aux réunions d'équipe, on jouait au Hockey et au foot. Enfin moi je jouais, toi t'étais nul, je t'engueulais souvent, mais tu nous faisais bien marrer dans les cages, on aurait dit un gardien anglais du début du XXième siècle avec ta casquette. D'ailleurs tu étais aussi nul que les gardiens anglais, c'est dire.
    Tu avais aussi réussi l'exploit de créer une équipe de Donjons et Dragons à Montréal Nord, ce qui n'était pas le moindre de tes miracles.

    Moi, j'avais presque renoncé, la trentaine bien entamée, des études à peine recommencée, tu as réveillé de vieux souvenirs enfouis dans mon adolescence, je suis redevenu anarchiste grâce à toi Docteur B, tu m'as rappelé les berus, les antifas, les skinhead, je me suis souvenu de ce temps-là où je me battais, où la rage me portait. Je suis redevenu anarchiste grâce à toi.

    Ta meilleure prescription ever.

    Moi je t'ai fait découvrir Bourdieu et Morin, j'en étais pas peu fier. Je me sentais comme un grand frère, j'étais ton grand frère. Mon dernier Tatoo, je l'avais fait un peu en pensant à toi, en me disant que tu rigolerais bien de voir ce presque vieux se faire tatouer un chanarchiste, j'ai oublié de te le montrer ce soir-là.
    Toi tu m'as réconcilié avec Marx, avec la gauche, avec le féminisme.
    Moi, je t'ai fait aimer Desproges, Renaud

    On avait participé ensemble au projet d'installation de l'activité jeux vidéos dans la bibliothèque de Montréal-Nord. Ce seront les meilleurs souvenirs que j'aurai de toi. Parce qu'on avait le temps de parler, de lire, d'échanger, parce qu'on forçait les jeunes à répondre à des questions de littérature pour rentrer dans l'activité et que cela les faisait sacrer. Parce que tu leur lisais le Capital pendant qu'ils empruntaient des jeux et qu'ils se demandaient si tu avais toute ta tête. Parce qu'on mettait des petits mots dans des romans pourris " Ne lisez pas cette merde, lisez plutôt Bourdieu ou Marx". Parce que tu nous faisais la lecture à haute voix de romans arlequins et je voulais t'étamper la tronche pour ça. Parce que tu avais trouvé les collants que l'on met dans les livres comme alarme, que tu en foutais partout, et qu'on sonnait tous en sortant de la bibliothèque. Je m'étais même fait fouillé dans un renaud bray à cause de ça. Je sonnais partout. Ça te faisait bien marrer, connard.

    Aujourd'hui je suis en colère. Pas contre toi, tu avais bien le droit de ne plus souffrir, tu avais traversé tellement de merde que je me demandais comment tu faisais pour sourire encore, moi que la moindre contrariété rend morose. Non, je suis en colère contre tout le reste, contre tous ces gens qui nous méprisent, alors que nous essayons de nous en sortir comme on peut. De faire un monde meilleur. Je suis fâché parce que tu es mort et que Eric Duhaime est vivant. Je suis en colère contre tous ceux qui se satisfont de ce monde dans lequel tu as tellement galéré, travaillant si fort que tes notes de bac étaient merdiques, alors que tu étais si intelligent. Je ne t'ai jamais entendu te plaindre plus que ça. Pour une obscure raison administrative, liée aux revenus de ta mère, tu ne pouvais avoir de prêts bourses, alors que tu étais sans ressources. Tu avais même vécu dans la rue quelques temps. Dans des squatts. Je ne sais plus. Mais tu t'étais battu contre ce système pourri qui laisse les gens comme toi, de ton milieu, sur le bord de la route. Tu écrivais mieux que moi maintenant et tu avais réussi à aller au doctorat en sémiologie. Tu devenais quelqu'un. Même si on comprenait de moins en moins ce que tu racontais, la sémiologie c'est un truc d'extraterrestre, parfait pour toi.

    Non, je ne suis pas en colère contre toi, ta souffrance était immense, une rupture difficile, pas de contrat pour l'hiver, un ras le bol peut-être de voir s'éteindre la flamme de la révolte dans cette humide soirée de fin d'hiver. Une lettre existe. Elle nous dira peut-être. J'espère que tu nous envoies chier. Et que tu parles de ton caca. Ton sujet préféré.

    Non, je suis en colère contre tout le reste. Contre tous ceux qui se satisfont de la médiocrité de leur existence, dans le confort douillet de leur tiédeur malsaine, ceux qui votent une fois tous les quatre ans, qui tapent sur des casseroles deux semaines et qu'on ne voit plus lorsque les flics nous ramassent, lorsque les flics nous arrêtent, nous les tatoués, les désespérés, les porteurs d'utopies. Ceux qui ne peuvent supporter de voir la misère, de vivre malgré elle, qui ne peuvent supporter que ce monde soit ce qu'il est, que des chômeurs s'immolent par le feu en Europe et que des Docteur B se pendent à Montréal.

    Je me battrai encore plus fort pour toi. Pour se souvenir que des gens merveilleux, intelligents et sensibles n'ont pas accès aux ressources qu'ils devraient avoir, parce qu'ils refusent d'être des esclaves, de jouer ce jeu malsain du moins pire qui rend le pire quelquefois si attirant pour ceux qui rêvent encore.

    Nous attendions le premier mort de la crise étudiante. Le voici. Mort en rockstar à 27 ans. Je suis sur que tu y as pensé et que tu as ri une dernière fois avant de fermer la lumière.

    Petit con.

    Salut mon frère.

    Je t'aime"

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